CHAPITRE XIV
Corran ouvrit son cockpit quand le yacht eut terminé ses manœuvres d’accostage. Il avait fait le chemin depuis Chorax fixé à la coque supérieure du navire, telle une sangsue sur sa proie. Il n’appréciait pas outre mesure la situation. Mais il aurait encore moins aimé abandonner son vaisseau et son astromech.
Ayant fermé tous les circuits à part les systèmes environnementaux, il n’avait pas pu communiquer avec le pilote du yacht. Il fut impressionné par la douceur de l’atterrissage. Le spatioport était primitif et le brouillard cachait presque tout. Corran aperçut des formes ressemblant à des bâtiments, la plupart couverts de végétation.
Il se leva, s’étira puis enleva son casque et ses gants. Sautant du cockpit, il atterrit lourdement sur la coque du yacht.
La pesanteur est plus importante que je le pensais…
Ne voyant pas d’échelle, Corran sauta.
Ses genoux se dérobèrent : il tomba à quatre pattes.
— La gravité est réellement plus forte que je le croyais ! Ou ce voyage m’a complètement crevé…
Il se releva, essuyant la boue qui maculait les genoux de sa combinaison de vol.
Sur le yacht une écoutille s’ouvrit avec un sifflement. Corran se tourna vers la rampe de débarquement. Un Sullustéen sortit, suivi par un droïd de maintenance insectoïde de fabrication verpine.
Corran attendit que le capitaine sorte à son tour. Il s’attendait à voir un homme, car peu de contrebandiers indépendants étaient des femmes.
Elle était vêtue d’une combinaison de vol bleu foncé moulant ses formes parfaites. Sa chevelure noire lui tombait au milieu du dos.
Elle se tourna vers Corran, aussitôt charmé par le sourire éclairant le beau visage de la femme.
Il s’essuya les mains sur sa combinaison.
— Merci de m’avoir ramené.
— Merci de m’avoir sauvée, répondit-elle avec un sourire.
— De rien. (Il lui tendit la main.) Je suis Corran Horn.
Elle sursauta, un éclair passant dans son regard.
— Êtes-vous un parent de Hal Horn ?
— Oui… c’était mon père. Pourquoi ?
— Parce qu’il a traqué mon père et l’a envoyé sur Kessel. Si j’avais su qui vous étiez, je vous aurais abandonné !
Corran recula. Pour la première fois, il vit le blason sur l’épaule de la jeune femme.
— Votre vaisseau est le Pulsar ! Si j’avais su que Booster Terrik me ramenait ici, je serais resté là-bas !
— Je vois que vous avez fait connaissance ? lança Wedge.
Corran salua.
— Oui, commandant.
La femme plaqua les mains sur ses hanches.
— Vous avez fait exprès de ne pas me donner le nom du pilote, hein ?
Wedge sourit.
— Je me doutais qu’il y aurait quelques frictions entre vous. Comment va la vie, Mirax ?
— Le butin paye les pièces de rechange et le carburant.
Mirax embrassa Wedge sur la joue.
— J’ai entendu pas mal de récits à ton sujet, Wedge. Tes parents auraient été fiers de toi.
— J’aime à le croire…
Corran fronça les sourcils.
— Commandant, vous réalisez que le Pulsar est le vaisseau de Booster Terrik, un des contrebandiers les plus malfaisants de Corellia ?
Wedge sourit.
— Je sais tout cela, lieutenant Horn. J’avais environ quinze ans quand j’ai aidé au remplacement de la chambre de fusion du moteur de tribord. Le père de Mirax était un client régulier de la station de réparation de mes parents.
— Booster est connu pour avoir trempé dans des affaires de drogue…
— Il m’a aussi aidé à retrouver les pirates qui ont détruit la station et tué mes parents. La Sécurité Corellienne n’en a pas été capable.
— Et cela excuse tout à vos yeux ?
— Non, lieutenant. Mais ça remet les choses en perspective. De plus, Mirax est différente de son père. Depuis qu’il s’est retiré, elle a livré pas mal de fournitures à l’Alliance. (Il se tourna vers la jeune femme.) Et Corran n’est pas comme son père…
Mirax baissa les yeux.
— Tu as raison, Wedge. Je suis encore sonnée d’avoir été surprise par le Vipère Noire. Il a jailli de l’hyperespace sur mon vecteur de sortie et m’a clouée sur place. Quelqu’un m’a trahie.
Corran ricana.
— Les voleurs ne connaissent pas la loyauté.
— Quelqu’un s’est laissé acheter par les crédits de l’Empire, plus prompts à arriver que les promesses de récompense de l’Alliance.
Mirax haussa les épaules.
— Pour ma part, je refuse de laisser l’Empire nous prendre dans ses filets. Je vous prie d’excuser ma conduite, monsieur Horn.
Corran lui serra la main.
— Je vous présente aussi mes excuses. Je suis encore secoué de m’être fait tirer dessus par un croiseur. Mon R2 est hors service…
— Je comprends. Si je peux vous aider…
— Merci. Il faut que j’aille m’occuper de mon droïd…
— Dans un moment, lieutenant. J’ai à vous parler, dit Wedge. Mirax, connais-tu la destination de ta cargaison ?
— J’avais rendez-vous avec un vaisseau pour la transférer. D’après le bulletin d’embarquement, il s’agit du matériel de première nécessité pour l’installation d’une base. Vous pouvez sans doute l’utiliser ici.
— Je suppose. (Wedge sortit un comlink de sa poche.) Antilles appelle M3.
— Ici M3, monsieur. J’essaie de vous joindre depuis notre atterrissage…
— Pas le temps de parler maintenant ! Envoie une équipe de récupération avec une grue pour emmener l’aile X et l’unité R2 de Horn. Procure-toi le bulletin d’embarquement de la cargaison du Pulsar. Essaie de savoir à qui ces marchandises devaient être livrées, et vois si tu peux t’arranger pour garder ce dont nous avons besoin.
— Oui, monsieur. Comme je vous le disais, monsieur…
— Antilles, terminé. (Il désactiva le comlink.) Tycho dit qu’il n’a eu aucun problème avec le droïd pendant le voyage, mais il doit être plus patient que moi !
— C’est pour ça que tu lui as demandé de venir me parler ?
— Crois-moi, ce n’est pas le pire droïd de protocole de l’Alliance, loin de là ! Confie-lui la fiche de données et menace de lui tirer dessus s’il veut te suivre à bord.
— Assurez-vous de tirer au moins deux fois, dit Corran d’une voix lugubre.
— Je m’en souviendrai, lieutenant. Ne serait-il pas plus simple que je télécharge le bulletin d’embarquement dans votre ordinateur central ?
Wedge grimaça.
— Pour le moment, c’est lui notre ordinateur central.
— Je comprends…
— Je te verrai plus tard, Mirax. Lieutenant, suivez-moi.
— Vous vouliez me dire quelque chose, monsieur ?
— Affronter des chasseurs est une chose, lieutenant. Se battre contre un vaisseau de cette taille en est une autre. C’est suffisant pour perturber n’importe qui.
Peut-être était-ce la raison de ma nervosité ?
— Je comprends, monsieur. Il faut mettre les choses en perspective.
— Je voulais aussi vous féliciter de la manière dont vous vous êtes tiré d’affaire. Vous étiez dans une situation difficile.
— Je m’en suis sorti un peu par hasard, monsieur.
— Peu importe, Horn. Vous vous êtes bien comporté. Descendre deux intercepteurs quand vos systèmes étaient hors service…
— Comme je l’ai dit au capitaine Celchu, il a fait la partie du travail la plus difficile. Si les intercepteurs s’étaient dégagés de son verrouillage de cible, je n’aurais jamais pu les toucher. (Corran fronça les sourcils.) Cela m’amène à vous poser une question, monsieur.
— Oui ?
— Le capitaine Celchu avait les deux intercepteurs dans sa ligne de mire. Pourquoi ne les a-t-il pas descendus lui-même ?
Wedge hésita, mettant Corran sur ses gardes.
— Le Banni a été modifié. Il ne transporte pas de missiles.
— Pourquoi n’a-t-il pas utilisé ses lasers ? Les navettes de classe Lambda en sont équipées.
— Pas le Banni.
— Commandant, sur Folor j’ai vu des agents de la sécurité de l’Alliance escorter le capitaine Celchu. Il n’a jamais eu d’armes, sur son Z-95 Chasseur de Têtes. Et vous dites qu’on lui a retiré ses lasers alors que nous devions voyager dans un secteur dangereux du Noyau ? Que se passe-t-il ?
— Avez-vous parlé de tout ça à quelqu’un d’autre ?
— Non, je…
— Lieutenant, je veux que vous compreniez deux choses. Primo, je fais pleinement confiance au capitaine Celchu. Secundo, le sujet dont vous m’avez entretenu est d’ordre privé. Le capitaine Celchu a accepté certaines… limitations. Lui et moi pensons qu’en parler perturberait l’escadron.
Comme si ne pas savoir ne me perturbait pas !
— Ça veut, dire que je n’ai pas le droit de lui poser la question ?
Wedge croisa les bras.
— Corran, vous étiez policier. Vous vous méfiez des gens. Mais vous avez compté sur lui pour descendre les deux intercepteurs. Pourquoi ne pas lui faire confiance sur le reste ? Il n’était pas obligé de vous sauver la vie.
— Je comprends, monsieur. Pourtant, je lui demanderai des explications, à moins que vous me l’interdisiez. Mais je n’en parlerai à personne. Il m’a sauvé la vie. Je lui dois bien ça.
— Parfait.
— Si je peux me permettre, commandant…
— Oui ?
Corran jeta un coup d’œil vers le Pulsar.
— Vous avez dit que la CorSec n’avait jamais arrêté les pirates qui ont détruit la station Gus Treta et tué vos parents. Mon père était responsable de l’enquête. Il a travaillé dur pour découvrir les coupables, mais il n’avait pas, comme vous, des contacts de l’autre côté de la barrière. S’il avait su que Booster Terrik vous avait aidé à localiser les pirates, il lui aurait sans doute épargné un internement dans les mines d’épice.
Wedge flanqua une tape amicale sur l’épaule de Corran.
— Les cinq ans que Booster a passés sur Kessel l’ont poussé à prendre sa « retraite ». Quand Mirax est de bonne humeur, elle reconnaît que son séjour dans les mines a fait du bien à son père.
— Je doute qu’elle l’avoue jamais en ma présence, commandant.
— Vraiment ? Je pensais que vous deviendriez de bons amis, elle et vous.
— Nos pères se haïssaient, monsieur. Cela ne me semble pas l’idéal pour construire une amitié. De plus, c’est votre amie…
— Seulement une amie. Plutôt une sœur. Elle venait vivre avec nous quand son père partait pour des missions dangereuses.
Sa sœur ? Voilà qui m’incite à avoir envie d’en savoir plus…
— Je réfléchirai à votre conseil, commandant.
— Avoir des amis ne fait jamais de mal.
— Monsieur, monsieur !
Les deux hommes tournèrent la tête quand M3 sortit du brouillard talaséen.
Je n’envie pas le commandant. Il aura du mal à éviter le droïd.
— M3, c’est le pompon ! dit Wedge avec un regard exaspéré. Tu peux discuter de l’état de son aile X avec le lieutenant Horn. Viens me voir ensuite.
« Si tu me trouves », ajouta Corran quand le chef de l’escadron tourna les talons.
— À vos ordres, dit le droïd. Au sujet de votre aile X, monsieur. Les dégâts ne sont pas aussi graves qu’il y paraissait.
— Et Whistler ?
— Votre R2 ? Pas de problème. Il a coupé lui-même son alimentation avant que la salve ionique ait pu le faire. Mais quelle aventure ! Je dois dire, monsieur, que…
— Je comprends, M3. Mais R2 ? Tu dis que tout ira bien ?
— Oui, même si cela a tenu à peu de chose.
— Peu de chose ? dit Corran, regrettant aussitôt d’avoir invité M3 à s’expliquer.
— Un couplage d’alimentation était polarisé négativement, ce qui empêchait l’auto-démarrage. Le couplage devra être reconditionné, mais cela sera facile, car les colons utilisaient des agrodroïds et ce monde connaît des orages terribles pendant la saison des pluies…
— Fascinant, M3. Tu devrais demander au commandant Antilles de te laisser conduire une étude sur le climat de cette planète. En fait, exige-le !
Vous vous êtes servi de moi pour vous débarrasser du droïd, commandant. Un prêté pour un rendu !
— L’exiger ? Vraiment, monsieur ?
— Absolument. Quinze ou vingt minutes de plaidoirie devraient suffire à le convaincre. Passons à mon aile X. J’ai grillé un stabilisateur latéral.
— Exact. J’ai téléchargé les formulaires de réquisition dans ce bloc-notes, dit M3, tendant l’objet à Corran. Il vous suffit de les remplir et d’ajouter un rapport sur l’incident. Je donnerai ces documents à viser au capitaine Celchu, puis je les ferai signer par le commandant Antilles. Alors nous transmettrons l’information au général Salm. Nous devrions avoir la pièce dans deux mois au plus tard.
— Deux mois ? s’étrangla Corran.
— À condition qu’ils aient la pièce de rechange et que vous ne soyez pas rétrogradé sur la liste de priorités.
— La liste de priorités ?
— Oui, monsieur. Vous avez amené votre aile X avec vous et vous n’avez jamais signé les formulaires qui en feraient officiellement la propriété de l’Alliance. Afin d’empêcher les gens de se servir des hangars de réparation de l’Alliance à titre personnel, le règlement 119432, sous-section 5, paragraphe 3, stipule : « Tout vaisseau n’appartenant pas à l’Alliance mais associé à elle recevra ses pièces de rechange à la discrétion de l’officier responsable et/ou de l’officier supérieur chargé des fournitures. Si le vaisseau est endommagé lors d’une action non prévue ou non reconnue par l’Alliance (voir la section 12, paragraphe 7 pour les exceptions), les dégâts seront considérés comme étrangers à l’Alliance et traités après les réparations des vaisseaux endommagés en mission. » La liste des exceptions est la suivante…
— Attends, M3 ! Est-ce la seule manière d’obtenir un stabilisateur neuf ?
— Monsieur, je connais les règlements de plus de six millions d’organisations utilitaires et paramilitaires, et je ne vois rien qui…
— M3, cette pièce est utilisée dans presque tous les vaisseaux de l’Alliance. Il doit y avoir un stabilisateur quelque part.
— C’est possible, monsieur. Je vais préparer les formulaires demandant un examen complet des stocks.
Corran lâcha le bloc-notes et saisit la tête du droïd à deux mains.
— Tu m’as mal compris, M3. Les formulaires prennent trop de temps. Sans cette pièce, impossible de voler. Je n’ai pas la moindre envie de rester bloqué sur ce misérable monde. Il y a des pièces disponibles. J’en veux une.
— Il faut respecter les règlements, monsieur.
— Au diable les règlements ! Tu ne peux pas simplement te débrouiller pour dégoter une pièce quelque part ?
Le droïd se figea. Seule la lumière clignotante de ses « yeux » indiquait qu’il fonctionnait. Le pilote, d’abord ravi d’avoir endigué son flot de paroles, finit par s’inquiéter de sa catatonie.
— M3 ?
Le droïd sursauta comme s’il avait été frappé par la foudre.
— Protocole de dégotage engagé, monsieur.
Le droïd se pencha, récupéra le bloc-notes et secoua la tête.
— Faut quand même que j’expédie la réquisition, mais j’vais m’arranger pour vous trouver ce que vous voulez malgré les lambinages du Commandement. Vous êtes un pilote, mon boulot est de vous permettre de voler. Topez-là !
— M3, ça va ? Tu es affecté par l’humidité ?
— Pas de problème, monsieur. Je vais très bien. J’ai peut-être attrapé un petit virus, sans plus.
Je rêve, ou ce droïd vient de me faire un clin d’œil ?
— Tu es sûr ?
— Oui, monsieur. Si vous avez terminé, je file à la recherche de cette pièce.
— Merci, M3. Tu peux disposer.
Le droïd tourna les talons. Corran le regarda partir. Puis il frissonna.
— Ooryl ne pensait pas qu’il faisait aussi froid.
Corran se retourna en entendant la voix du Gand.
— Ce n’est pas le froid, Ooryl. Plutôt la fatigue. La journée a été longue et éprouvante.
— Qrygg souhaite s’excuser de t’avoir abandonné. Qrygg était trop occupé à esquiver les intercepteurs pour voir que tu n’étais pas là.
— Tu as suivi les ordres, c’est tout.
— Qrygg voudrait te donner quelque chose…
Corran passa un bras autour de l’exosquelette supérieur du Gand.
— Ramène-moi à mon logement, laisse-moi dormir huit heures d’affilée, et nous serons quittes. Cela calmera-t-il ta culpabilité ?
— Ooryl trouve cela acceptable.
— Parfait ! Ouvre la marche, Ooryl. Cette fois, je promets de ne pas te lâcher d’une semelle !